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Anna-Alix Koffi totalement vouée à l’art contemporain africain

Entre Paris et Abidjan, la passion de la Franco-Ivoirienne Anna-Alix Koffi s’étale souvent en noir et blanc qu’elle « met partout » et souvent sur du très beau papier. Something we Africans got, SWAG High Profiles et Woman Paper sont les différents titres que la journaliste conçoit et édite depuis 2016.

Chaque support bilingue français-anglais est régi par une philosophie différente, mais ils ont un point commun : ils sont une vitrine pour les acteurs de l’art contemporain en Afrique.

Pour l’éditrice indépendante, il n’est d’ailleurs pas question de parler « d’art contemporain africain ».  « Il n’y a pas d’art contemporain africain, explique-t-elle. On ne dit pas, par exemple, art contemporain européen ou art contemporain américain… A la rigueur, si, on pourrait dire art américain, il y a des courants, des écoles… Je tiens une revue d’art depuis plus de deux ans et je ne saurais pas comment qualifier les choses de manière juste. » Le message est pourtant assez clair : l’origine d’un artiste ne peut pas définir son art.

D’autant que la vision du monde de ces artistes africains intéresse de plus en plus. « Cet art devient une valeur sûre et c’est un regard neuf sur le monde », estime la journaliste. Certains pensent que c’est un phénomène de mode qui va s’essouffler, mais je ne partage pas cet avis. Nous sommes définitivement entrés dans la danse. Nous sommes rentrés dans les collections et les gens en voient l’intérêt. Je m’appuie sur ces jeunes talents qui apparaissent pour dire cela (…). Le seul risque pour cet art-là, ce sont les spéculateurs qui peuvent ruiner la carrière de ces artistes en les vendant trop tôt, trop cher. »

Les publications d’Anna-Alix Koffi sont là pour faire écho à cette dynamique que les regards non-affûtés ont encore du mal à percevoir. « Il faut accéder à cet art par les artistes eux-mêmes, conseille-t-elle. Se faire soi-même une idée et remonter le fil. On peut commencer par les stars, à savoir Barthélémy Toguo, à qui l’on doit d’ailleurs une magnifique fresque bleue au métro Château-Rouge à Paris. C’est un Camerounais qui est bien représenté et ce par plusieurs grosses galeries, notamment à Paris, à New York ou encore au Cap. Il y a le plasticien El Anatsui qui est du Ghana. Il travaille avec des objets récupérés et il en fait des œuvres monumentales, absolument incroyables. Ici en Côte d’Ivoire (Anna-Alix Koffi y séjourne actuellement, NDLR), le sculpteur Jems Koko Bi travaille le bois mort et démontre bien que c’est de la matière vivante. Quand on a la chance d’en posséder une, on voit bien que ses pièces évoluent avec l’apparition de fissures, les changements de coloration et c’est magnifique. Il y a tellement d’artistes… »

Allier l’art à la pensée critique

Et avec ses « créations », comme Anna-Alix Koffi les appelle malicieusement, les amateurs ont l’occasion de découvrir cette multitude de talents dont dispose le continent. C’est avec OFF the wall, revue photographique en 10 volumes publiée entre 2013 et 2016, que la jeune femme va être piquée par le virus de l’édition. Les numéros qui l’ont le plus emballée, confie-t-elle, étaient ceux consacrés à l’Afrique (numéro 3), à la femme (le numéro 5) et celui en noir et blanc (numéro 8).

En avril 2017, une série d’événements artistiques autour du continent vont provoquer un déclic chez Anna-Alix Koffi qui se doutait déjà qu’elle avait « trouvé sa voie » dans l’édition, forte de son expérience OFF the wall.  « J’ai pensé, se souvient-elle, nous sommes sur la carte. Et je me suis dit que j’allais faire une revue sur l’art en Afrique portée par ceux qui savent, qu’ils soient Africains ou non, mais en donnant le plus possible l’opportunité aux premiers de s’exprimer. J’ai décidé d’y mêler art et pensée critique. »

Something we Africans got, dont elle aime que le titre soit entièrement énoncé, voit ainsi le jour en 2017. « Cette revue d’art et de pensée dédiée à l’Afrique et au monde noir » est accueillie dans la cour des grands, à Art Basel, la plus importante foire au monde d’art contemporain. Le support, tiré à 1 500 exemplaires, s’organise en trois parties : une autour d’une thématique, une autre centrée sur un pays africain et la dernière est consacrée à un pays hors du continent, dont les relations avec l’Afrique sont explorées. « C’est richement fourni, c’est un outil de recherche où se côtoient des textes d’universitaires, de commissaires d’exposition, d’artistes eux-mêmes ou encore de spécialistes. C’est pointu et exigeant, autant sur le fond que sur la forme. »

Le magazine SWAG High Profiles (2 500 copies, bimestriel) est, lui, « un produit d’appel pour rentrer dans la revue qui est trimestrielle, un contenu plus accessible qui met en exergue des gens d’Afrique et de sa diaspora qui font des choses remarquables au niveau international ».

Pour ce qui est de Woman Paper, publication née en 2016 à l’occasion des Rencontres d’Arles, cette dernière est produite en édition limitée « à l’occasion d’une foire ou d’un festival », précise Anna-Alix Koffi. « La revue est le fruit d’une collaboration avec les organisateurs, où je mets en avant les femmes de la programmation. Woman Paper sert à promouvoir la femme dans le monde de l’art, à promouvoir son rôle et son action dans cet univers. »  Dans tous les cas, « l’art ou le message passent par la femme ». Ce tropisme est peut-être aussi le résultat d’une longue histoire qui a certainement commencé avec son mémoire de fin d’études en Histoire justement. Elle avait choisi de s’y pencher sur l’image de la femme dans la publicité en Côte d’Ivoire. Ses deux « chevaux de bataille », résume-t-elle, concernent des minorités.

Le « soft power » utile au changement

Et pour cause, « l’art est un énorme vecteur de changement qui permet de faire comprendre aux uns et aux autres où en est une civilisation. Avec le Musée du Quai Branly, l’idée de Jacques Chirac était de mettre toutes les civilisations au même niveau. Dans le cadre de l’exposition pour célébrer son 20e anniversaire, des masques ivoiriens, gabonais étaient exposés aux côtés d’œuvres mexicaines. Toutes ces œuvres dataient toutes de la même époque : on pouvait ainsi voir ce que le copain mexicain faisait pendant que son ami gabonais ou ivoirien fabriquait autre chose. Je trouve cette approche très intéressante. »

Dans une période où la lutte contre le racisme s’intensifie, notamment après la mort de l’Afro-Américain George Floyd à la suite de violences policières, ses supports lui paraissent encore plus essentiels pour en finir avec les préjugés qui entourent le continent. Par exemple, « une publication comme Something we Africans got essaie de montrer qu’il y a une pensée critique sur le continent, qu’il y a des artistes africains qui font des choses du même niveau que tous les autres. Le magazine SWAG High Profiles montre des Africains hors des clichés et préjugés habituels que certains peuvent avoir… Toutes ces publications, c’est du soft power. » Pour les Africains eux-mêmes, « c’est le rôle de ma revue, ajoute l’éditrice, de réveiller les gens à propos de leur culture et de la connaissance qu’ils en ont ».

C’est dans son pays natal, la Côte d’Ivoire, où elle comptait assister à de multiples événements consacrés à l’art contemporain que la pandémie du Covid-19 l’a obligée à se confiner. « C’est une période qui a été très dure pour les artistes, note-t-elle au passage. Des collectionneurs ont organisé des levées de fonds, il y a eu des dons privés également. Certains ont pu se mobiliser pour défendre l’art. » Anna-Alix Koffi, elle, a dû reporter la sortie du numéro 11 de Something we Africans got pour la fin de l’été.

Cependant, la jeune femme a réussi à mettre cette période d’incertitude liée à la pandémie à profit. « Je n’ai pas chômé », lance-t-elle. De fait, elle a offert une base abidjanaise à sa petite entreprise et, surtout, Anna-Alix Koffi s’est résolue à avoir un site. Elle l’a baptisé avril 27, une date capitale pour la journaliste. « Mes créations ont toujours été sur un beau papier, il était donc hors de question pour moi d’avoir un site. Je ne voyais pas l’utilité d’avoir un tel relais, d’autant que les réseaux sociaux faisaient largement le boulot. Avec le Covid-19, c’était le moment d’y aller. Tout le monde multipliait les interventions en ligne. J’ai un contenu et il y a des gens qui y ont travaillé. Je me suis dit : ‘Si je suis un porte-voix, ce n’est pas le moment de rester silencieuse. Avril 27 est une sorte de holding de tous mes titres' », conclut-elle.

La plateforme numérique constitue également une nouvelle modalité de distribution pour les supports d’Anna-Alix Koffi. En plus des versions papier, une version numérique est désormais disponible. En ligne, certains contenus sont aussi disponibles gratuitement. En outre, le site permet d’ajouter la vidéo à sa production. « Le relais du print pour moi, c’est l’image mobile », estime Anna-Alix Koffi, celle qui a décidé de projeter le travail des artistes africains sur tous les espaces disponibles.

Les supports édités par l’éditrice indépendante Anna-Alix Koffi sont, entre autres, consacrés à la promotion d’artistes contemporains originaires du continent. 

Falila Gbadamassi

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